Mes sens sont engourdis. Je suis une personne lâche, névrosée, peureuse et angoissée. L’angoisse me coupe les jambes. Elle y sème des millions de vers qui petit à petit me bouffent le courage. Alors je reste assise, et je lève le coude.
Je lève mon verre. À nos peurs irraisonnées, à nos rêves brisés, à nos années perdues. À nos œillères, à nos muselières. À nos larsens, à notre vue qui se trouble, à notre angoisse lancinante.
Je lève mon verre. À tous ceux qui crèveront de froid cette nuit. À tous ceux que la vie a déchirés. À l’odeur pestilentielle d’un homme qui se laisse périr. À la couche de crasse qui les recouvre. À leurs paupières mi-closes, à leurs yeux grands ouverts.
Je lève mon verre. Au Darfour, à Haïti, au Cachemire, à la Géorgie.
Je lève mon verre. À ce que je dégueulerai demain, à la morve, à la crasse, à la bile et au sperme.
Je lève mon verre. À tes yeux candides, brillants, vierges de toute désillusion. À la manie que tu as de mentir. À ton admiration pour moi. Au fait de t’avoir vue grandir.
Je lève mon verre. Aux sommets, aux gouffres sans fin, aux grands espaces. Aux carcans étroits et inconfortables. Au mensonge, à la sournoiserie, à la fausseté, à l’avarice, à la connerie.
Je lève mon verre. Aux stigmatisés, aux oubliés, aux rejetés, aux mal-aimés. Aux laissés pour compte, aux souffre-douleurs, aux bêtes de cirque.
Je lève mon verre. Aux alcooliques, aux drogués, aux névrosés, aux passifs-agressifs. Aux comportements troublés, aux gestes interprétés, aux souvenirs faussés, aux autres enfouis. À ceux qui restent. À ceux qui partent, qui sont partis, qui partiront.
Je lève mon verre. À nos erreurs, à nos succès, à nos défaites. À notre honte, à celle des autres. Aux exhibitionnistes, aux fous à lier, aux malades. Aux génies oubliés, à Henry Charles Bukowski, à Jack London, à Martin Eden et à Arturo Bandini. Au Diable, à sa guitare. Aux idoles que l'on brûle, à celles que l'on adule.
Je lève mon verre.
Schlusswort
Il y a 14 ans