samedi 7 août 2010

S'épuiser.

A brouiller les pistes. A tirer sur un clope, à cracher sa fumée sur des souvenirs. A perdre son temps, son souffle, à courir après rien.A user son cœur, artère après artère, à s'enserrer le ventricule. A se foutre des claques, à t'en foutre à toi, à toi, à toi. A se péter les cordes vocales, l'une après l'autre, paf, paf, paf.

Hurler.

Ses mensonges, ses vérités. Ses insultes, ses saloperies. Sortir le laid, le puant, le putride d'entre ses dents. Le cracher, le voir brûler sur le bitume.

Clore ses paupières parfois, histoire d'effacer quelques éclaboussures, puis les rouvrir, pour mieux cracher sur ce que l'on voit.

Et, parfois, à un éclat de voix, à la lumière d'un regard,à un mot, s'accrocher, s'agripper, se lover. Dans l'alcôve d'une illusion, se reposer quelques instants.

S'épuiser.

jeudi 15 avril 2010

Les enfants du siècle sont tous un peu fous.

Mes sens sont engourdis. Je suis une personne lâche, névrosée, peureuse et angoissée. L’angoisse me coupe les jambes. Elle y sème des millions de vers qui petit à petit me bouffent le courage. Alors je reste assise, et je lève le coude.
Je lève mon verre. À nos peurs irraisonnées, à nos rêves brisés, à nos années perdues. À nos œillères, à nos muselières. À nos larsens, à notre vue qui se trouble, à notre angoisse lancinante.
Je lève mon verre. À tous ceux qui crèveront de froid cette nuit. À tous ceux que la vie a déchirés. À l’odeur pestilentielle d’un homme qui se laisse périr. À la couche de crasse qui les recouvre. À leurs paupières mi-closes, à leurs yeux grands ouverts.
Je lève mon verre. Au Darfour, à Haïti, au Cachemire, à la Géorgie.
Je lève mon verre. À ce que je dégueulerai demain, à la morve, à la crasse, à la bile et au sperme.
Je lève mon verre. À tes yeux candides, brillants, vierges de toute désillusion. À la manie que tu as de mentir. À ton admiration pour moi. Au fait de t’avoir vue grandir.
Je lève mon verre. Aux sommets, aux gouffres sans fin, aux grands espaces. Aux carcans étroits et inconfortables. Au mensonge, à la sournoiserie, à la fausseté, à l’avarice, à la connerie.
Je lève mon verre. Aux stigmatisés, aux oubliés, aux rejetés, aux mal-aimés. Aux laissés pour compte, aux souffre-douleurs, aux bêtes de cirque.
Je lève mon verre. Aux alcooliques, aux drogués, aux névrosés, aux passifs-agressifs. Aux comportements troublés, aux gestes interprétés, aux souvenirs faussés, aux autres enfouis. À ceux qui restent. À ceux qui partent, qui sont partis, qui partiront.
Je lève mon verre. À nos erreurs, à nos succès, à nos défaites. À notre honte, à celle des autres. Aux exhibitionnistes, aux fous à lier, aux malades. Aux génies oubliés, à Henry Charles Bukowski, à Jack London, à Martin Eden et à Arturo Bandini. Au Diable, à sa guitare. Aux idoles que l'on brûle, à celles que l'on adule.
Je lève mon verre.

lundi 22 mars 2010

Senti

Tu la sens là, dis? Tu la sens, la poussière, la lourdeur du temps, l’humidité qui subsiste? Tu sens la vie, qui se bat contre nous, qui brûle, qui souffle, qui pleut? Elle est là, autour de nous, dans la musique, dans le vent qui ramène tes cheveux sur ton visage. Non, ne pleure pas. On a fait trop de chemin pour revenir en arrière, maintenant. Où sommes-nous? Mais pourquoi tu me demandes ça? T’as pas encore compris? Ca n’a aucune foutue importance, où nous sommes. Nous y sommes, c’est tout. Pleure pas, je te dis. Pleure pas. Allez, souris, fais au moins mine d’être heureuse. Tiens, assied-toi, là près de moi. Plus près. Tu vois, on est bien. Putain, arrête de pleurer! C’était pas toi, qui voulait te casser, qui voulait partir loin? Bah on y est, loin. Regarde à l’horizon. T’en vois un, toi, de foutu humain? Tu vois un corps maladroit, une démarche mal assurée, des gestes destructeurs? Pas moi.
Alors marche, maintenant. Prend-moi la main, j’te dis. J’veux que nos ombres ne fassent qu’une. Recule pas. Marche tout droit, droit devant toi.
C’est bizarre, au fil des pas tu deviens de plus en plus transparente. Arrête de t’éloigner, merde.
J’en ai marre que tu trébuche. Faut qu’on marche, qu’on s’éloigne encore.
Je t’ai toujours détestée. T’es pas belle. Quand je te regarde, j’ai presque l’impression de sentir tes entrailles, ça en devient insupportable. T’es floue, tes organes sont mal assemblés les uns avec les autres. Ils ont du mal à former une silhouette plus ou moins humaine. Tu peux utiliser tous les artifices que tu veux, tu seras jamais belle.

jeudi 4 mars 2010

A travers la brume, je ne te vois plus.

Il était né dans une de ces villes où l’on se perd tellement les rues sont semblables les unes au autres. Plusieurs fois, rentrant du parc, il était entré dans la mauvaise maison. Il avait mis quelques temps à s’en rendre compte, tellement l’odeur était la même, mélange de cigarillo et de bière bon marché. Petit, il portait ces lunettes rafistolées à grand renfort de double face, complètement tordues, qui cachaient u de ses yeux perçants. La morve lui coulait toujours de son nez, et formait alors des croûtes transparentes, de son nez à ses lèvres. Jamais ses pantalons de velours ne touchaient terre, et l’on ne distinguait plus qu’à peine les côtes du tissu.

Il adorait courir, dans les rues crasseuses. Souvent, il ramassait des morceaux de charbon pour les lancer sur les chats qui parcouraient les ruelles, à la tombée du soir. Lorsqu’il ne se trompait pas de porte, il entrait dans une petite pièce sombre, éclairée uniquement d’un lampadaire marron. Il posait alors son anorak sur le vieil escalier, et entrait par la porte vitrée dans le salon. Là, assis sur un fauteuil en velours élimé, son père fumait un cigarillo en buvant du mauvais whisky. Les yeux vitreux, le regard vide, l’homme n’était devenu qu’une bête, abattant sa besogne de 7 du matin à 21h, et l’arrosant de 22h à 3h. il distinguait à peine son fils, à travers les volutes pestilentielles de fumée.

Son fils n’était qu’une erreur, le produit de son fluide dégueulasse. Il était le produit de cet acte bestial, animal, sans sentiment. Machinal, névrosé. Il avait vu le corps de sa femme enfler durant quelques mois, pour en sortir un têtard rose et bleu, qui braillait et l’empêchait de dormir. Il n’aimait pas son fils. Il n’avait jamais, jamais eu le désir d’un enfant. Il ne voulait surtout pas laisser sa marque sur cette terre. Il ne voulait être que de passage, aller et venir, rester pour repartir, sans faire de bruit. Alors, il n’aimait pas son fils. Sa morve séchée sur la lèvre supérieure le dégoutait. Et c’était pour lui un soulagement, quand son poing immense s’abattait sur ce petit visage.
Il frappait, frappait et frappait encore, pour voir sortir ses larmes. Plus l’enfant pleurait, plus il était satisfait. Comme si il ôtait un peu de vie à chaque crise de larmes. Il ne s’arrêtait que lorsque le sang faisait son apparition, témoin de la vie coriace du petit. Le bruit des chocs de son poing contre la chair tendre de la joue de ce petit être était pour lui une libération. Comme si chaque bruit sourd était un cri de démence, un fou rire incontrôlé, un coup de massue sur son propre crâne, pour s’enfoncer, s’enfoncer, s’enfoncer toujours plus bas. Pour disparaître.

Il avait durant des années supporté ces accès de violence, ces crises incontrôlées, ces poings sauvages. Pour lui, c’était une façon comme une autre de manifester son affection. Ses coups étaient comme autant d’étreintes aimantes, paternelles, protectrices. Le plat de la main, qui claquait sur son visage, était une marque de respect. Alors il supportait. Le visage enflé, les larmes emplissant ses yeux, il montait alors le petit escalier sombre, pour rejoindre sa chambre. Des murs gris, sales, qui l’enfermaient et l’empêchaient de penser.
Un jour, le corps déjà boursouflé de sa mère commença prendre plus de place dans la pièce. Il enflait, il enflait comme un ballon. Sa mère devint énorme. Et elle mangeait et mangeait, sans s’arrêter ni prendre considération des autres. Elle s’emplissait le corps de nourriture, jusqu’à masquer complètement ce qui était autour d’elle. Jusqu’à le masquer, l’effacer de sa tête, l’oublier. Il ne l’amusait plus.
Au bout de quelques mois, elle finit par disparaitre dans une voiture bringuebalante, son visage porcin transpirant, les vagues de son corps faisant trembler toutes les parois de la maison. Elle revint de cette expédition avec une petite chose rose dans les bras. On lui présenta alors sa petite sœur. Il lui montra, à cette petite, à quel point il l’aimait. De ses touts petits poings, roses et lisses, il s’appliquait à lui montrer ce qu’il serait capable de faire pour elle.

Mais on ne comprit pas. On l’arracha à cette petite lueur. On lui fit des analyses, lui posa des questions, lui fit faire des dessins. Puis on lui donna une nouvelle chambre. Blanche. Blanche, sans aucune décoration, avec des fenêtres à barreaux. Elle était d’un blanc oppressant, virginal, vomitif. Alors il vomissait.

Jusqu’à son adolescence, il fut transporté d’hôpital en hôpital, de foyer en foyer, jusqu’à ce qu’on considère comme acceptable le fait de le laisser à la dérive.
Sur le goudron sale des trottoirs, dans les ascenseurs des métros, sur le perron des banques, il se construisait un foyer. La ville immense était à lui. Le spectacle de la course citadine l’inspirait. Il ne savait pas écrire, alors il parlait. Les choses qu’il voulait coucher sur le papier, il les criait, espérant alors que les paroles volent comme des pétales vers une oreille attentive, qui alors prendrait le temps de les écrire. Il confiait ses pensées à l’éternité. Il savait qu’elle les restituerait, un jour ou l’autre.
Donc il criait. Les mots s’entrechoquaient dans sa bouche édentée, se bousculaient contre ses lèvres, puis se fondaient dans le brouhaha de la ville. Elles s’accrochaient aux passants, s’imprégnaient dans les cabans de laine, s’emmêlaient dans les cheveux mousseux et aériens, s’immisçaient dans les sacs à main de cuir.
Le froid, l'humidité, le mauvais alcool, l'indifférence, la tristesse nouaient sa gorge et lui donnaient une voix absolument insupportable. Elle était déchirante, criarde, agressive, terrifiante. Il terrifiait les passants à longueur de journée, là, assis sur son morceau de trottoir. Mais on finissait toujours par l'oublier. On subissait, l' espace d'une seconde, son odeur, son bruit, sa vérité, puis son image s'effaçait aussi brutalement qu'elle nous était apparue. On en avait peur, puis on l'oubliait. Deux mètres plus tard, une affiche colorée, un éclat de voix et on l'oubliait.

mardi 9 février 2010

Ain't got no sole.

Le soleil m'écrase le crâne. Depuis une heure, j'escalade ce sol friable, qui se dérobe sous mes pas. Je patine, je fais du sur place. Je sue à grosses gouttes, je rougis. Mes cheveux ne sont plus qu'une masse informe et noire, électrique, râpeuse, blessante. Ils se collent à ma nuque, s'infiltrent dans ma bouche, me font m'étrangler. Je m'étrangle. Plus je me débats contre cette mèche qui me tue, plus elle s'enfonce dans mon œsophage, et me tue d'autant plus rapidement.
Pourtant je m'obstine. Parfois, je parviens à faire un pas, mais très vite je perd l' équilibre et retombe à même le sol brûlant. Les petites pierres me griffent le dos, laissant de petites marques rouges, comme des morsures d'araignée.
Alors, laissant le sang couler dans mon dos, je remonte sur ce pic immense, dont je ne vois pas le sommet. Au fur et à mesure que je crois m'en approcher, il s'éloigne à une vitesse effrayante.

Soudain, le sol entier, et l'air, et l'atmosphère, se mettent à trembler. Doucement, calmement, sans en avoir l'air, mon monde s'effrite, s'écroule, fond.
Une pierre atteint mon crâne. Elle coupe, elle lacère mon front. Mon sang atteint mon oeil, il m'aveugle, me brûle la rétine.

Je me laisse à nouveau tomber sur le dos, grillant comme une carcasse sur la terre sèche. Du haut de la falaise, j'entends alors un rire. Je les fais rire.
Ils rient, ils rient de plus en plus fort. Ils rient de satisfaction, de victoire, d'orgueil. Ils sont haut, tout en haut. Ils rient de me voir tenter de les atteindre, sans succès. Ils rient de ma face rouge, de mes cheveux électriques. Ils s'esclaffent de me voir m 'étrangler, ils se tordent en me voyant brûler.
 
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