mardi 13 octobre 2009

What difference does it make?

Il la regarde. Il l’observe. Chaque petite courbe de son corps, chaque forme que l’ombre et la lumière dessinent sur son corps en mouvement. La musique, la fraîcheur du soir, la fille qui danse nue, là, sur son plancher. La lumière de la lune la rend bleue pâle. Ses longs cheveux l’empêche de voir sa nuque. Elle rit. Elle n’est pas intelligente, ni drôle, ni intéressante. Elle n’a rien de plus que la centaine de minettes qui sont déjà venues sur ce plancher. Aucune blessure ne vient salir son corps virginal, son regard bleu ne sent pas l’amertume. Elle est si loin. Ce soir elle se sent exceptionnelle. Elle se sent belle. Elle se voit déjà muse, icône, vedette. Adulée, enviée. Elle ne sera rien. Demain, quand les vapeurs de scotch auront disparu de son cerveau, le visage de la fille ne sera que trouble. Il se souviendra simplement de la couleur bleue pâle de son corps, de ses cheveux qui masquent sa nuque.

I am tired, I am wear, I could sleep for thousand years.

Dans ses rêves, cette nuit, elle sera lumineuse, mystérieuse. Elle se sentira aimée. Elle se réveillera avec le sourire que l’on a quand on croit aux mensonges.

A thousand dreams that would awake me.

Elle s’approche, plonge son regard vide dans le regard embrumé par le whisky. Elle est sûre qu’il y voit quelque chose. Il n’y voit rien. Le scotch, la fumée, l’amertume, les larmes l’aveuglent.

Different colors made of tears.

jeudi 17 septembre 2009

Cry, Ophelia.

Tout le monde tourne, tout le monde court, valse, danse la gigue, le french can-can, le tcha tcha, et plein d’autres danses secouantes et merdiques. Ils me poussent, me filent des coups d’épaule, me collent contre le mur, m’arrachent les cheveux au passage, me piétinent, me collent sans faire exprès leur poing sur la gueule. Désolé, je ne t’avais pas vue.

Je ne te vois pas.

Alors je file un grand coup de couteau dans mon abdomen, et j’expose mes entrailles pourries. Mon estomac. Mes poumons. Mes cordes vocales. Tu m’entends là, putain?

Une grande claque sur ta joue rose, qui résonne pendant dix bonnes secondes. Une deuxième. Pour que la première se sente moins seule. Jamais deux sans trois. Et là, tu m’as sentie?

Mes lèvres sur les tiennes, ma main dans ton cou, dans tes cheveux, sur ton torse. Tu le perçois cette fois, mon goût d’amertume?

Mes cheveux, mon visage, mes mains, mes seins. J’espère que tu t’es griffé, sur les épines de mon cœur.
Sinon, je peux aussi te mordre.

mardi 15 septembre 2009

Gracefully silent.

Brûle moi les yeux. Brûle moi le cœur.
Arrache mes neurones les uns après les autres, rend moi débile. Rend moi animale, rend moi faible. Rend moi aveugle à la laideur. Piétine-moi. Relève moi. Porte moi. Reconstruis moi. Passe tes mains sur mes paupières, ouvre-moi les yeux.
Brûle-moi les yeux. Brûle-moi le cœur.

mercredi 3 juin 2009

Goodbye and Hello

Ceci est un adieu.
J'arrache de ma peau les derniers lambeaux de ce qui fut mon écorce. Je me déracine, je viole la terre qui m'emprisonne. J'écrase sur mon passage les insectes qui pourrissaient ma sève. Les milliers de minuscules vaisseaux m'y rattachant éclatent en un gargouillis infâme. Le bruit de leur carapace brisée est celui du feu qui brûle mon masque.

Dans mon ascension, je reprends peu à peu ma forme originelle. Je quitte sans regret la lourdeur de la terre dans laquelle j'ai poussé. Je m'éloigne de son odeur putride, de sa chaleur protectrice, de ses vermines et de ses bourgeons.

Je suis nue. Aucune écorce ne me protège du vent. Le froid pince ma peau avec une violence délicieuse. J'embrasse le néant. Les bras en croix, perchée sur la falaise froide.
Je renais, pour la centième fois. Mon œil neuf a la profondeur des blessures qui marquent mon torse. Mon cœur bat à la lumière de la lune, lavé par les larmes douces et amères des adieux.

mardi 12 mai 2009

Lady Jane

Elle faisait partie de ces femmes qui donnent l’impression de sentir la poudre à maquiller tellement elles font d’efforts pour recouvrir leur peau originelle. Elle était maquillée comme une actrice de film érotique chinois, à l’aide d’une tonne d’ombre bleue sur ses paupières épaisses et gonflées par les nuits à pleurer son visage de jeunette, qui aujourd’hui n’était pas loin d’avoir complètement disparu.

Cette femme sentait la lutte; elle tentait désespérément d’arrêter la course du temps sur son visage, sans succès. La lutte la fatiguait, la rendait plus vieille encore. Son crâne dégarni était surmonté d’une masse rouge et permanentée, et elle portait toujours de petites boucles d’oreilles en perle blanche. Si son extrême maigreur n’avait pas faussé la donne, on aurait juré une cantatrice. Elle était toujours vêtue de foncé, et le marron de son sac à main était toujours parfaitement assorti à la couleur de sa robe, qu’elle avait toujours longue, comme pour cacher le maximum de son corps flétri.

Elle trouvait cette femme absolument fascinante. Elle n’arrivait pas à comprendre ce qui la rendait si intéressante: peut être le chic de son attitude avec la vulgarité de son maquillage, ou encore le travail de son vêtement et l’impression de saleté qu’elle dégageait.

En l’observant, elle essayait de deviner la raison de son voyage, et la vérité lui apparaissait toujours comme absolument flagrante: en quête de confiance en elle, cette femme rejoignait tous les mardis soirs son amant pour un court coït dans sa voiture, sur le parking du supermarché en face de la gare. C’était le genre de femme à préférer un amant sans aucun intérêt ni charme au fait de rester seule. Alors, tous les mardis soirs, elle offrait son corps meurtri par le temps à cette enveloppe vide. Elle entrait dans la petite voiture avec toujours l’espoir que le sperme dégueulasse de l’homme comble les failles des rides de son corps, et en ressortait trente minutes plus tard, toujours aussi sèche, vide et molle, avec à l’estomac un creux grand comme son estime d’elle-même qu’elle avait aujourd’hui totalement perdue.

mercredi 29 avril 2009

On a tellement plongé ce vieux pigeon dans l'eau de Javel qu'il ressemble à une colombe.

mardi 28 avril 2009

I'm not like Everybody Else.

La glace de ton regard, tes griffes acérées autour de mon cou, la chaleur de ta bouche forment en moi une tiédeur moite, poisseuse, dégueulasse. La brûlure de tes milliers d’yeux sur moi fait éclater sur ma peau des cloques purulentes. Je ne cesse de te croiser, jour après jour, dans les rues goudronnées. Tu te pares d’artifices tous plus burlesques les uns que les autres, tu colores ton sombre vêtement pour passer inaperçu dans la marée humaine. Perché sur de gigantesques échasses, ta silhouette fantomatique s’immisce entre chaque mur, chaque bâtiment, chaque pavé que je foule de ma démarche incertaine. Je ne peux croiser mon reflet sans sentir également le poids de ton corps sur mon dos voûté.
Écartant vulgairement les commissures de tes lèvres, tu fends ton visage blafard d’un rictus ironique lorsque mon regard plonge dans tes yeux vides.
Tu n’es personne.

lundi 30 mars 2009

I'm a Street Walking Cheetah with a heart full of Napalm.

Aspirée une nouvelle fois dans la rame de métro, elle s’adossa elle aussi contre la paroi du monstre tubulaire et attendit qu’il la vomisse dans une autre station. Les tubes néons défilaient à l’extérieur du wagon, faisant trembler ses yeux. Les visages arboraient tous la même expression de lassitude. Elle avait même l’impression que certains se forçaient à afficher une bouche sèche et des lèvres serrées, pour ne pas se faire remarquer. Pour être invisible.
Elle regardait son reflet dans la vitre. Une masse floue de cheveux noirs, des yeux perçants, une silhouette sombre. Son reflet l’accusait, il la pointait du doigt, lui attrapait les épaules en la secouant. Il lui collait des baffes monumentales, faisait rougir ses joue.

« Réveille toi! » qu’il lui disait.
Réveille-toi. Ne meurs pas. Réveille toi.

Sa station. Elle quitta son reflet accusateur et reprit sa valse citadine dans la marée humaine. Bousculée, bringuebalée, elle sortit de la masse humaine et s’installa sur un banc. En face d’un bâtiment monumental, elle alluma une cigarette. Prenant une grande inspiration, elle observa la façade. Un bloc énorme de pierre superposées les unes sur les autres, un monstre immense dominant la place. Les colonnes, les pierres sculptées, les portes lourdes lui évoquaient la grandeur passée de ce qu’avait pu être le cerveau humain.
Ça l’effrayait parfois d’imaginer les centaines de milliers de connexions à la seconde qui s’opéraient à l’intérieur de son crâne. Comme des milliers de chocs électriques qui lui vrillaient la tête à longueur de journée. Il lui semblait que l’association du froid, de l’image du colosse de pierre qui se dressait devant elle et de la musique dans ses oreilles endormait ces chocs, qui cessaient alors de cogner sa tête à tous instants.
Elle était apaisée. Comme si une main immense couvrait son visage, passait dans ses cheveux, lui disait de s’endormir.
Laissant ses connexions en plein milieu de la place trempée, elle reprit sa route. Plus légère d’une tonne environ, les poings enfoncés dans les poches de sa veste, elle avançait.
Le froid lui mordait le visage. C’était un froid pinçant, piquant, brûlant. Elle fourra un peu plus son visage dans son écharpe. Le rythme de ses pas lui semblait réglé sur la batterie. À ce moment précis, elle n’avait aucune attache. À ce moment précis, elle aurait voulu tout embrasser, tout entendre, tout voir, tout sentir de la rue. Elle aurait voulu se plonger dans le bain de la misère, en comprendre la moindre subtilité, en connaître le moindre détail. Elle aurait voulu faire corps avec le goudron humide, aspirer le pétrole, avaler le gravier.

dimanche 22 mars 2009

Too Much for my Mirror

Encore des pages que je noircirai de mots patauds, d’expressions incertaines, de phrases puantes d’ignorance.

Je ne suis qu’un embryon, une ébauche de quelqu’un. Je suis floue. Je tente en vain de m’inventer des contours à l’aide de mon écriture imparfaite, sans y parvenir une seule seconde.
Je ne suis qu’une masse sans odeur, sans couleur, sans saveur. Une éponge qui ne sait que trop mal recracher ce qu’elle absorbe.

Et pourtant mon bras fourmille, il m’appelle. La douleur lancinante de l’immobilisme me submerge, et j’aligne alors des mots sur le papier comme on déballerait un sac de provisions.
J’abhorre la médiocrité de ce que je produis , mais j’en ressens pourtant le besoin. Le besoin me pourrit, il irradie mon estomac. Avec une frénésie sans pareille, je cherche ma dose de mots bien pensés, mon quota d’amertume.

L’inspiration finit toujours par s’essouffler. Je m’y accroche pourtant, je la suis avec l’énergie du désespoir, je m’y agrippe comme une sangsue à un mollet. Je la supplie de rester, les yeux remplis de larmes et de colère, mais déjà je me sens trébucher.
J’expose mes viscères au grand public, je fais un numéro bancal, presque pathétique, et ne récolte que quelques applaudissements mous, donnés à contrecœur.

vendredi 20 mars 2009

Free and freaky

Il avait quelque chose. Petit, pâle, presque laid. Son dos était voûté, et son crâne reposait lamentablement au sommet de sa colonne tordue. Silhouette fantomatique.
Son visage était presque effrayant. Un profil tranchant, de minuscules yeux gris, qui vous percent la peau et vous font dresser l'échine. Le genre d'yeux qui vous traversent la boite crânienne et lisent dans vos pensées. Qui réduisent à l'état de cendre toute tentative d'envolée lyrique merdique. Regard hypnotique.

Les applaudissements timides à la fin de chaque morceau. L'indifférence totale des habitués. Cerveau-éponge.
Et puis elle. Écoutant les entrailles de la terre. Son viscéral.
La lumière jaunâtre sur son visage trempé de sueur, son aura inexistante.

Il gerbait sa musique. Elle se prenait toutes les éclaboussures en pleine face, et elle aimait ça.
Pas d'osmose, pas de transe. Pas de larme ni de sourire.

Le petit corps se mouvait étrangement bien sur la musique. Chaque phrase prononcée était accompagnée d'un spasme particulier. Pantin désarticulé.

Son souffle saccadé, ses paupières lourdes. Et sa voix, râle rauque et désaccordé, totalement faux et à contre-temps. Le résultat était insupportablement beau. Une magnifique harmonie de laideur.

lundi 2 mars 2009

House of the Rising Sun

Un seul coup d’œil à cette baraque, et ça vous saute à la gueule qu’on vient y mourir. Cette maison pue la mort. On la sent jusque dans les murs. Ils sont engorgés de regrets, ils suintent d’inachevé, ils transpirent les erreurs. Dès l’entrée, l’humidité vous assaille les narines. Ça sent la fin de vie.
Les souvenirs alourdissent l’atmosphère, ils font se fermer les paupières des mourants qui remplissent ces quatre murs. Le silence est pesant. Il bouffe tout l‘oxygène.
La poussière danse dans le peu de lumière qui filtre à travers les lourds rideaux miteux. Une fine pellicule s’est déposée partout dans la maison, et personne ne trouve le courage de la nettoyer.
On ne peut pas traverser une pièce sans rencontrer des sandales en plastique blanc, des chaises percées, des alèses ou des lambeaux de dignité.
Les yeux sont clairs, vitreux. La peau est fine et craquelle en certains endroits. Les taches forment des signes fantomatiques, à la naissance du crâne là où les cheveux se font clairsemés. Le visage entier tombe lentement, se décompose, se défigure, pour n'être plus qu'un amas d'organes flétris, secs comme la glace.

vendredi 20 février 2009

The Scarecrow

Les pieds immenses et les jambes velues recouvertes par des tas de jupons colorés et salis par la poussière. Des bras secs, presque tranchants. Une peau tannée comme du cuir. Un visage flétri par le soleil, une chevelure cendrée. Des yeux noirs et minuscules, perçants comme ceux de l’aigle. Un sourire édenté. Un fichu délavé sur le haut du crâne.

Tout autour d’elle semble plus coloré. Les couleurs vous attaquent l’œil, vous brûlent la rétine, vous soudent les paupières entre elles. Les couleurs vous grillent les neurones, vous rendent le cerveau comme une éponge.

Les billes noires qui lui servent d’yeux ont cette étincelle inquiétante. La même qui vous donne, lorsque vous êtes en hauteur, une irrésistible envie de sauter dans le vide, aussi forte que votre désir de terre ferme. Les billes noires vous percent, vous transpercent, vous brûlent, vous dépècent. Elles exposent vos entrailles à la vue de tous. Boyaux à l’air, vous tentez tant bien que mal de masquer la pourriture de votre être, sans succès.

Swap meat

Ma vie entière est une tragi-comédie de bas étage.
Mon cerveau vomit des niaiseries sans nom à longueur de journée. J’ai utilisé tout mon capital de mots pompeux et d’image romantico-réalistes. Je suis à nu. Aucune formule choc pour masquer le vide de mon vécu, la petitesse de mon âme. Je ne suis rien.

Tous les jours, des camions livrent dans des supermarchés à lettres des montagnes immenses de papier recyclé souillé une deuxième fois par mes conneries. Ensuite elles sont disposées dans ces hangars, en dessous d’affiches criardes, avec ma gueule en gros plan. Ils vous filent même des grands sachets, au cas où ils vous manqueraient cruellement un classique de littérature française dans votre frigo.

Un titre accrocheur, un bon tas de mensonges et roule ma poule. Je donne aux gens ce qu’ils veulent. Je vend mes mots pour une misère. Je vends mes tripes pour une bouchée de pain rassis.

Je suis une pute littéraire en somme.

samedi 14 février 2009

My funny Valentine

Je déteste ce jour dégoulinant d’amour, dégobillant de bonne volonté. Comme si il y avait un jour spécial pour s’aimer. Quelle belle connerie.

Dans 3 ans cette fille oubliera de se laver les cheveux parce qu’elle s’occupera de son mioche, et le gusse qui l’étouffe en ce moment de son bras gauche ira taquiner la secrétaire qui louche, parce que franchement le sexe, ce sera devenu pas top. Ou même pas du tout.

Je ne supporte pas de les voir regarder le monde comme si il était plus beau aujourd’hui qu’hier, juste parce qu’on est le 14 putain de février. On croirait presque que c’est un prétexte pour encore moins voir ces gens qui crèvent de faim et dorment dans leur propre merde pour avoir plus chaud.

Je déteste ces effusions d’amour, ces regards langoureux qui puent l’obligation. J’abhorre les projets à la mord moi le nœud qu’on fait après trois mois de vie commune. Je déteste les entendre parler de prénoms.

J’ai remarqué ce matin à sept heures que la lumière était magnifique. Je suis allée fumer une clope sur une place complètement vide. Même les pigeons me foutaient la paix. J’avais froid, juste ce qu’il faut. J’avais l’impression que mon corps avait disparu dans ce sweat trop grand.

Le froid qui mordait langoureusement mes joues était le seul là pour me le rappeler. Le froid était mon amant. Le froid soufflait dans mon cou, y déposait des baisers.
Le froid passait ses ongles dans mes cheveux, me léchait les oreilles, pressait ma poitrine, faisait s’accélérer ma respiration.

Le froid brûlait mes yeux, me laissait des marques sur le visage, faisait se craquer mes lèvres. Il brisait passionnément mes os, glaçait amoureusement mes doigts. Le froid me clouait sur le banc, m’empêchait tout mouvement, enserrait mes chevilles et mes poignets de son étreinte puissante.


La ville n’avait jamais été aussi silencieuse. On avait mis la vie sur pause.
C’était une bonne journée finalement.

lundi 9 février 2009

Men of good fortune

Elle tourne. Des disques, elle en a vu passer plein, et pas toujours des bons. Mais elle tourne quand même.

Cette platine est comme une vieille pute. Pour peu qu’on presse son bouton, elle tourne.
Lou Reed, Berlin. Une clope. Pas de bourbon. Le bourbon, c’est uniquement pour le blues. Men of good fortune, volutes de fumée bleuâtre. J’ai encore passé une journée à faire bonne figure, à lancer des saluts et des comment tu vas à tout bout de champ. Épuisant d’être sympa. Alors Lou Reed, Berlin. Une clope et pas de bourbon.
Encore plus plaisant: me dire que j’ai volé ce disque à un bel enfoiré.

A chercher le confort on s'oublie en route.

vendredi 6 février 2009

Desertshore

Une station-service au bord de l’A25. Du genre de celles où on sert du mauvais café, pour 1,20€. Les mégots encombrent les cendriers. On s’étire à tout bout de champ. Personne ne parle. Abruti par le ronronnement de l’autoroute.
La caissière est un robot. Un zombie. Une absence d’âme.
On vend des lots de magazines people usagés pour 5€. Le carrelage est poisseux, la lumière blafarde du néon en fait ressortir les aspérités.
Un type au comptoir semble être un habitué. Accoudé à la pompe à bière. Je me demande si tous les jours, il prend l’autoroute pour venir poser son vieux cul sur le skaï de ces tabourets miteux. Un vieux juke-box traîne au fond de la salle. Un gosse s’excite sur le flipper, et les bruits de la machine sont les seuls qui viennent troubler le silence pesant.
J’ai faim, mais pas le temps de m’arreter pour savourer leur andouillette surement dégueulasse. Le temps semble figé, ici.
La serveuse, laide comme un lundi, essuie une vieille tasse depuis près d’un quart d’heure, j’en suis convaincu.
Je prends un snickers sur le rebord de la caisse et le pose sur le comptoir. Les yeux vides me fixent. « Un euro ». Je pose la pièce et reprends ma route.

Backdoor man

À intervalles réguliers, un flot de jambes pressées lui brouillent la vue. Parfois, une pièce atterrit près de lui. Il est là, adossé au photomaton. Il fait partie du décor.

Le photomaton, c’est sa place. Peut-être que le jour où il n’y sera plus, on remarquera qu’il y a été. Il voit le monde d’en bas, à travers des yeux embrumés d’alcool et de fumée. Ses cheveux sales lui descendent dans le cou, et son bonnet chlingue la pisse de chat. Aucun regard ne croise le sien. Il regarde la vie fourmiller autour de lui. Il attend. Un sourire, un mot. La fin. Il se demande ce qu’il fout, Dieu, à pas le rappeler à sa divine merci. En tout cas quand il le verra, il lui filera une sacrée mandale. On fait pas attendre les gens comme ça. Il n’a plus rien à faire ici. Les journées sont toutes les mêmes, et n’ont aucun intérêt. Il rêverait de crever. Il rêverait de voir son thorax envahit d’asticots. D’être utile, enfin. Il n’est qu’une masse grise, adossée au photomaton. Il fait partie du décor. On ne distingue même plus ses yeux gris. À longueur de journée, il attend.

À intervalles réguliers, un flot de jambes pressées lui brouillent la vue. Parfois, une pièce atterrit près de lui. Il est là, adossé au photomaton. Il fait partie du décor.

Sleepwriting

Le rougeoiement de sa cigarette était la seule source de lumière de la pièce. Elle aimait ces moments de silence après la tempête. Elle aimait s'abandonner, oublier. Détruire le malaise, au moins temporairement. Elle louait un peu de sérénité, en somme. Et elle se trouvait là, dans une chambre si crasseuse qu'elle-même se sentait propre.
Mis à part le grésillement particulier de sa clope, rien ne venait troubler le silence.
Il avait quelque chose de rassurant. Comme la certitude d'être ici et maintenant. Finalement la seule chose dont elle était sûre. Elle vivait dans un flou total, et s'attachait à démolir une à une les fondations des murs qui enserraient sa tête. A grand coups de pieds, avec une violence extrême, elle réduisait à néant les efforts qu'on avait pu fournir pour tenter d'étouffer ce qu'elle était.
Cette totale destruction lui procurait une satisfaction intense, presque orgasmique.

Et elle se tenait là, en haut de ce tas de gravats, le menton arrogant, un sourire amusé dessiné sur les lèvres.

Elle souffla sa dernière bouffée et resta un instant à contempler le vide.
Elle aimait ce disque. Elle l'aimait autant qu'elle le haïssait. Ce qu'elle aimait, c'était cette ombre du génie, qui planait derrière la facilité évidente. A chaque fois, elle se prenait cette musique en pleine face. Ecrasée par son poids, elle ne pouvait rien faire. A part écouter. Elle ne savait pas expliquer pourquoi, mais chaque écoute lui tordait les entrailles comme de la bouffe avariée. Et elle aimait ça.

Elle s'endormit. Ne fit aucun rêve. Son sommeil était une espèce de bourdonnement sourd, de noir compact, engourdi. Son sommeil était une absence de sens.

Dix heures plus tard, la blancheur grisâtre de la lumière du jour la réveilla. Elle jeta un coup d'œil par la fenêtre. Les bâtiments se découpaient dans le ciel incolore. Elle pouvait voir de là où elle était les briques poisseuses, les toits couverts de merdes de pigeons. Le monde extérieur n'était qu'un tas de boue. Un ragout infâme de mensonges et de bondieuseries.
Depuis 19 ans, toujours les mêmes trottoirs crasseux. La même vue de sa fenêtre. Elle la connaissait tellement par cœur qu'elle percevait le moindre petit changement. La même humidité collante dans l'air. Rien ne semblait pouvoir amener une touche de nuance à ce gris. Il était entier, glacé.
Dans le bus, les mêmes visages rongés par le désespoir. Ou l'alcool. Ou les deux. Elle avait les yeux mi-clos, et elle en avait assez. Elle se faisait violence pour voir de quoi son futur serait fait. Mais elle ne voyait rien. Elle n'y arrivait pas. Elle se trouvait au bord d'un falaise qui ne se rallongeait que centimètre par centimètre, au fil de son errance incertaine. Il lui semblait parfois qu'elle avançait à reculons tant le manque de volonté se faisait cruel. Et pourtant, elle avançait.

Elle était deux. Elle voulait et ne voulait pas, construisait et détruisait, aimait et détestait. Elle était inconstante. Inconsciente. Ignorante. Arrogante. Agaçante. Agacée, méprisée, ignorée. Elle n'était personne. Elle n'était qu'un visage parmi les autres. Elle n'était qu'un point dans la foule. Elle aurait voulu être un poing dans la foule. Avoir la force de vivre. Le courage de n'être que de passage. Prendre sa vie, la plonger dans un bain bouillant d'illusions, jusqu'à en attraper des cloques. La congeler, à grand renfort d'horreurs et de déceptions. La piétiner encore et encore. Y danser un flamenco brûlant de rage. La reprendre, l'enlacer, vouloir ne faire qu'un avec elle. La laisser tomber, voler au loin, emportée par le vent de la réalité.

Elle aurait voulu être un cri. Perçant, horrible, dégueulasse. Elle aurait voulu rendre le monde sourd. Faire saigner des oreilles. Elle aurait voulu qu'on la supplie de fermer sa gueule. Et éclater de rire. Faire un pas en arrière, regarder tout ça, et se marrer.

mardi 20 janvier 2009

Wish you were here.

En rage, il alignait ses mots sur le papier. Et chaque mot, chaque virgule, chaque lettre de ce qu'il écrivait ne faisait qu'ajouter à sa colère. La page fut bientôt noircie de mots qui s'entrechoquaient, se superposaient, se livraient une bataille sans merci pour apparaître au-dessus de cet amas infâme et dénué de sens. Son stylo, prolongement de sa main, vomissait les mots comme lui vomissait son mal. Ses yeux balayaient la feuille froissée avec une fureur diabolique. Dans ce fouillis indescriptible, traduction littéraire du désordre de son esprit, il cherchait. Frénétiquement, sans relâche, il cherchait l'inspiration. Et plus il cherchait, plus il la sentait s'éloigner, vaciller, faiblir. Alors il la poursuivit. Il courait derrière elle, comme un dément, à en perdre haleine. Chacun de ses pas martelait furieusement le sol. Et la flamme, légère et volage, papillonait, virevoltait, le narguait de sa hauteur. Lui, lourd, pataud, aveuglé par la colère, ne pouvait qu'essayer pathétiquement de la suivre. Son corps raide se heurtait aux murs, le vent lui fouettait le visage et lui pinçait la peau. A bout de forces, il trébucha et s'affaissa sur le bitume. Sa joue baignait lamentablement dans une flaque de boue. Dans un ultime effort, il roula sur le dos et contempla les toits ignobles de la ville. Au-dessus, le jaune se transformait petit à petit en un bleu intense, éléctrique. les vapeurs d'échappement formaient des nuages gris, fictifs et éphémères, sur ce tapis impénétrable. les immeubles se découpaient en formes fantomatiques, et l'ombre des arbres dessinait sur leur facade les griffes oniriques l'arrachant à la réalité. La feuille froissée et noircie prisonnière de son poing, il s'endormit. Des larmes amers et glacées coulèrent de ses paupières closes. Elles cheminèrent le long de son bras, et vinrent dissoudre l'encre de sa rage. Bientôt le papier ne fut plus qu'une pâte molle et grise, qui lui glissa entre les doigts.
 
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